La leçon de sarkozysme d'Eric Woerth

Publié le par desirs d'avenir 95

Maurice Szafran - Marianne | Lundi 28 Juin 2010 à 14:01 | Lu 13113 fois
 
Maurice Szafran revient sur l'affaire Woerth, symptôme d'un régime qui a décomplexé les relations du pouvoir avec l'argent quitte à ignorer toute notion de conflit d'intérêt. Questions pour un vrai champion du sarkozysme...



1) Dans une République non pas exemplaire mais respectueuse de ses principes élémentaires, il n’est pas concevable que l’épouse (une excellente professionnelle de la finance disposant d’une excellente réputation) du ministre du Budget (un responsable politique que l’on croyait rigoureux) gère le patrimoine de Mme Bettencourt, troisième fortune de France. S’il les avait respectées, les règles de la prudence la plus élémentaire, Eric Woerth, ministre de « nos » impôts (oui), cela interdisait à Florence Woerth d’exercer ses talents (durant cette période) dans le big business.
Comment et pourquoi ces deux « intelligents » ne s’en sont-ils même pas rendus compte ? Pourquoi ces deux membres éminents de la « bulle » ont-ils à ce point perdu le sens des convenances et de la réalité ?


2) Dans une République s’en tenant à un minimum d’éthique, le ministre du Budget – défenseur de nos intérêts collectifs et de nos impôts – ne peut en aucun cas – en aucun cas ! – être le trésorier d’une association de millionnaires soutenant (c’est leur droit légitime) l’action du président de la République. Il n’est pas concevable, pas un instant concevable, qu’Eric Woerth, car c’est de lui dont il s’agit, ait pu frayer avec ces gens-là. Non pas que ces gens-là soient par essence coupables, mais le ministre du Budget, par définition, par fonction, sait que ces gens-là, tous ces gens-là, sont les champions de ce qu’on appelle poliment « l’optimisation fiscale ». En clair, des batteries de conseillers, de spécialistes ont pour seul métier de leur faire (légalement) payer le moins d’impôts possible. Eric Woerth n’a donc pas à les fréquenter, ils sont, l’un et les autres, antithétiques. Pire encore, le ministre des impôts savait pertinemment qu’un certain nombre de ces gens-là – personne n’en doute et Woerth pas davantage – fraude très intelligemment, très « scientifiquement » le fisc. Et il n’en prend pas moins le risque de les fréquenter ?

Comment et pourquoi ne s’en est-il pas même rendu compte ? Pourquoi cet éminent personnage de la « bulle », maire de la richissime Chantilly, a-t-il disjoncté au point de se couper des Français, des dizaines de millions de Français qui n’appartiennent pas à cet univers ?
Poursuivons notre questionnement.


3) Dans une République décente, comment un ministre, par ailleurs un élu du peuple, peut-il mentir aussi effrontément, jusqu’à laisser sans voix les trois journalistes du Grand Jury-RTL qui, pourtant, l’ont interrogé sans concession aucune ? Comment peut-il répondre « Banier », quand on le questionne à propos de Liliane Bettencourt ? Comment peut-il feindre d’ignorer que les documents transmis par le procureur Courroye au ministère du Budget contraignaient les services fiscaux à enquêter sans plus attendre sur la femme la plus riche de France, qu’il ne pouvait l’ignorer et qu’il ne s’est rien passé tant que la presse n’était pas en mesure de jouer son rôle –essentiel en démocratie – de révélateur ?

Dans une République au fonctionnement un tant soit peu cohérent, comment accepte-t-on qu’un ministre pris dans une telle tourmente, n’apportant aucune réponse précise aux questions précises qui lui sont posées, se contente de cartonner, de surcroît avec morgue, la presse et les journalistes ?

Oui, comment tout cela, tous ces dysfonctionnements, toutes ces anomalies, tous ces dérèglements sont-ils possibles ?
Pour obtenir un début d’explication, il faut indéniablement en revenir à la véritable nature du sarkozysme, à ses particularités culturelles et sociales.
 
Dans cet univers-là, dans ce petit monde qui va de la Plaine Monceau à Neuilly, les riches, les super-riches, les ultra-riches ont été sans cesse et sans répit, adulés. A de nombreuses reprises, Nicolas Sarkozy a expliqué que plus les riches seront riches, mieux la société se portera. La crise, son ampleur, les dégâts provoqués l’ont contraint à amender son discours. Mais dans l’esprit du chef de l’Etat, les Bettencourt de ce monde sont à protéger. Eric Woerth est donc un parfait petit soldat du sarkozysme. Rien de plus, rien de moins.

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